Santé et durée du travail : une nouvelle approche jurisprudentielle ?
La simplification du droit de la durée du travail ne semble pas d’actualité. Pourtant, la Commission européenne, dans un rapport en prélude à l’ouverture des consultations sur la révision de la Directive 2003/88, souligne les défaillances de la France en matière de limitation du temps de travail.
À cet égard, il apparaît ici intéressant de se pencher sur la question de savoir comment le temps de travail est contrôlé depuis la loi du 28 août 2008 et l’assouplissement de ses règles, puisque rappelons qu’une partie de la doctrine avait indiqué qu’il s’agissait d’une véritable remise en cause des 35 heures.
Mais remise en cause n’est pas nécessairement simplification. En effet, la complexité du droit de la durée du travail tient peut être du fait que le temps de travail n’est pas uniquement, comme les salariés et les partenaires sociaux l’envisageaient jusqu’à présent, la rémunération et le salaire, c’est avant tout, à notre sens, la santé. Aussi, dans le contexte de la prévention des risques psychosociaux, dont fait partie la question de la charge de travail, est-il intéressant de relier les constructions jurisprudentielles et législatives en matière de temps de travail avec les problématiques de protection de la santé en général.
La Cour de cassation a récemment rappelé, dans la lignée de sa construction jurisprudentielle, le droit au repos du salarié (Cass. soc., 29 juin 2011, no 09-71.107, JSL no 304-2). Le sujet, à la fois politique, social et juridique, constitue dans cette optique un véritable enjeu de société tant en matière de compétitivité des entreprises que de santé publique, enjeu dépassant les simples frontières de l’entreprise. Ainsi, depuis la loi du 28 août 2008, la jurisprudence continue de définir le périmètre et les enjeux du contrôle du temps de travail qui doit être réalisé par l’employeur, tout en fixant des règles claires en liant, comme l’y invite le droit communautaire, santé et durée du travail.
LE PÉRIMÈTRE DU CONTRÔLE : TEMPS DE TRAVAIL EFFECTIF ET OBLIGATION DE SÉCURITÉ DE RÉSULTAT
La Cour de cassation ne cesse de redéfinir, aidée en cela par le droit communautaire, la notion de travail effectif et, faisant le lien avec la santé et le droit au repos, rappelle l’obligation de santé de résultat pesant sur l’employeur.
→ Durée du travail et temps de travail effectif
L’approche communautaire
Le droit communautaire et, notamment, la Directive 2003-88 prévoit que les travailleurs doivent bénéficier de périodes minimales de repos journalier et hebdomadaire et de périodes de pause adéquates. Elle fixe également la durée maximale hebdomadaire de travail à 48 heures, heures supplémentaires comprises.
Pour le décompte des heures de travail, la Directive 2003-88 distingue entre « temps de travail » et « temps de repos ».
La Cour de justice des Communautés européennes s’est fondée, quant à elle, sur le fait que la notion de temps de travail est indépendante de l’intensité du travail accompli pour considérer que des temps de garde effectués sur le lieu de travail par des médecins, du personnel infirmier des services d’urgences, des secouristes et des pompiers, sont, dans leur intégralité, du temps de travail (CJCE, 1er déc. 2005, aff. C-14/04). Pour résumer, le mode de décompte de la durée du travail doit prendre en compte la réalité du temps passé par le salarié à son travail.
À cet égard, il est à noter qu’un arrêt récent de la Cour de cassation a jugé que les différentes prescriptions énoncées par les directives en matière de temps minimal de repos « constituent des règles de droit social d’une importance particulière dont doit bénéficier chaque travailleur en tant que prescription minimale nécessaire pour assurer la protection de sa sécurité et de sa santé » (Cass. soc., 29 juin 2011, no 10-14.743). Ce même arrêt apporte également un éclairage important concernant la notion de travail effectif, dans la mesure où il retient que « la notion de temps de travail doit être appréhendée par opposition à la période de repos, ces deux notions étant exclusives l’une de l’autre ».
La définition française
La définition du temps de travail effectif légale n’est que la reprise de la jurisprudence de la Cour de cassation : « la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et doit se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles » (C. trav., art. L. 3121-1 ; voir, notamment, Cass. soc., 7 avr. 2010, no 09-40.020). Les déplacements professionnels (C. trav., art. L. 3121-4, issu de la loi du 18 janvier 2005) et le temps d’habillage et de déshabillage (C. trav., art. L. 3121-3) sont écartés du temps de travail effectif par le législateur, sauf dispositions plus favorables. En revanche, temps de restauration et temps de pause sont assimilés à des temps de travail effectif... lorsque les critères de l’article L. 3121-1 précités sont réunis (C. trav., art. L. 3121-2).
À partir de ces principes, la Chambre sociale a construit une jurisprudence tenant compte de la réalité et de la nature des temps consacrés aux opérations exercées dans le cadre de ses fonctions afin de caractériser les temps de travail effectif. Il en est ainsi du port d’une tenue obligatoire sur le lieu de travail, qui ouvre droit à des contreparties (Cass. soc., 26 mars 2008, no 05-41.476). La Haute Juridiction ouvre la possibilité que ces temps soient assimilés à du temps de travail effectif par les accords collectifs, usages et clauses du contrat de travail (Cass. soc., 28 oct. 2009, no 08-41.953). Ainsi, la Cour Suprême a qualifié de temps de travail effectif le temps de déplacement des salariés au sein d’un parc d’attraction étendu, puisque, lors de ce trajet, les salariés restaient à la disposition de l’employeur, en contact direct avec leur hiérarchie et avec les clients (Cass. soc., 13 janv. 2009, no 07-40.638).
Par ailleurs, au visa de l’article L. 3121-1 du Code du travail, la Haute Juridiction rappelle « que le salarié, qui demande le paiement d’heures de coupure en les qualifiant de périodes de travail effectif, doit rapporter la preuve qu’il était pendant ces heures à la disposition de l’employeur et devait se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles » (Cass. soc., 2 mars 2011, no 09-43.332).
Encore une fois donc, la même question se pose : le salarié est-il placé ou non sous la direction de l’employeur ?
C’est une constante en la matière. À l’employeur de savoir ce que fait son salarié. C’est ici que la notion de contrôle prend tout son sens. Et l’obligation est d’autant plus importante à satisfaire que la notion de travail effectif se construit au fil des contentieux, contentieux pouvant mener à l’engagement de la responsabilité de l’employeur.
→ Durée du travail et obligation de santé de résultat
Un arrêt d’appel a récemment mis en exergue l’impact de l’organisation du travail sur la santé morale et physique des salariés (CA Versailles, 5e ch., 19 mai 2011, no 10/00954, JSL no 303-6). Il posait comme principe que lorsqu’un employeur ne fait pas preuve de réactivité devant la dégradation de l’état de santé mental d’un salarié et en l’absence d’un système de prévention « performant » du stress au travail, il commet une faute inexcusable en cas de suicide. Il posait ainsi une question essentielle : par quoi passe la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur dans l’affaire du suicide de l’un de ses salariés ?
L’organisation et la charge de travail sont ici directement remises en cause. Effectivement, dans une logique d’hyper concurrence accrue, de rentabilité, de nécessité d’en faire toujours plus, d’avoir la réactivité et la flexibilité la plus large possible, les autorités internationales comme l’OIT considèrent que les questions économiques l’emportent sur l’impact sur le travail et sa vie de famille.
La conscience du danger a été démontrée au travers de « la culture du sur-engagement et l’augmentation des objectifs correspond chez le constructeur à l’adoption dès 2006 du plan de relance ‘Renault contrat 2009’ qui prévoit le lancement de 26 véhicules en trois ans. Dès lors, la victime aurait été contrainte, de travailler une douzaine d’heures par jour et de compléter le travail au sein du technocentre par un travail intensif à la maison, tous les soirs et les week-ends, sans compter les temps de déplacement en voiture auprès de l’usine de production de Douai et à l’étranger » (CA Versailles, 5e ch., 19 mai 2011, no 10/00954, préc.).
La question de l’organisation et de la charge de travail est donc bien au centre de ce débat.
Sur le contrôle du temps de travail, la Cour d’appel de Versailles relève que les supérieurs hiérarchiques « ont toujours été dans l’incapacité totale de pouvoir préciser quel était le volume précis de travail fourni par ce salarié ». Le raisonnement n’est pas dénué d’intérêt.
Rappelons que l’accord de la métallurgie du 28 juillet 1998, modifié par avenants des 29 janvier 2000 et 14 avril 2003), dont il est question dans l’arrêt en cause, prévoit des dispositions très précises quant au contrôle et au suivi de la charge de travail. Ainsi, il autorise le recours au forfait-jours à condition qu’il s’accompagne d’un contrôle du nombre de jours travaillés, afin de décompter le nombre de journées ou de demi-journées travaillées ainsi que celui des journées ou demi-journées de repos prises. À cette fin, il était prévu :
• l’établissement par l’employeur d’un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées, ainsi que le positionnement et la qualification des jours de repos en repos hebdomadaires, congés payés, congés conventionnels ou jours de RTT. Ce document pouvant être tenu par le salarié sous la responsabilité de l’employeur ;
• un suivi régulier, assuré par le supérieur hiérarchique, de l’organisation du travail du salarié et de sa charge de travail ;
• un entretien annuel avec le supérieur hiérarchique, destiné à évoquer l’organisation et la charge de travail du salarié et l’amplitude de ses journées d’activité ;
• une amplitude et une charge de travail devant rester raisonnables et assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé.
Ce cas extrême d’un suicide jugé dans cette affaire met donc en lumière l’importance de l’organisation et du suivi du temps de travail du salarié par l’employeur qui, s’il ne le fait pas, voit sa responsabilité engagée pour faute inexcusable. Ainsi, les garde-fous mis en place ont une importance allant au-delà du simple contrôle et du seul paiement des heures à l’engagement ou l’exonération de la responsabilité de l’employeur. Et la jurisprudence vient ici rappeler à l’employeur les liens entre contrôle du temps de travail, au travers de la charge de travail, et de l’obligation de santé de résultat.
LES MOYENS DE CONTRÔLE : UN CADRE STRICTEMENT DÉFINI
Le juge intervient pour préciser les notions de droit et vérifier que la législation française est conforme au droit international et au droit communautaire. Pour cela, la Cour de cassation rappelle que le temps de travail est encadré et renvoie également, comme le proposait la loi du 28 août 2008, aux partenaires sociaux.
→ Le nécessaire encadrement du temps de travail : une conception restrictive des exceptions
La question du forfait-jours permet de revenir sur le contrôle que le juge doit exercer sur l’application des règles relatives à le durée du travail, notamment lorsque celles-ci sont négociées.
Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les dispositions assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que de repos, journaliers et hebdomadaires (Cass. soc., 29 juin 2011, no 09-71.107, JSL no 304-2). Ce respect des durées maximales de travail et de repos s’impose au titre du « droit à la santé et au repos », qui figure, ainsi que le rappelle l’arrêt du 29 juin, « au nombre des exigences constitutionnelles ».
L’exemple de dispositions d’un accord collectif encadrant strictement le forfait-jours a été examiné par la Cour de cassation et est repris ci-dessus sur les modalités de contrôle. Encore faut-il que celui-ci soit rendu effectif par l’employeur. À défaut, le salarié a droit à des dommages-intérêts, voire, en cas d’épuisement professionnel ou encore d’arrêt de travail, à la reconnaissance d’une faute inexcusable.
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 29 juin dernier, pour la Cour de cassation, l’accord collectif du 28 juillet 1998, visé ci-dessus, était bien de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié au regard des exigences posées par ces différents textes.
La Haute Juridiction n’a pas exigé que les accords fixent une durée maximale de travail, mais elle vérifie l’effectivité du contrôle par l’employeur.
→ Effectivité des régimes protecteurs de la durée du travail
Pour vérifier l’effectivité du droit au repos, la Chambre sociale rappelle les règles en matière de repos dominical et la prise réelle des congés.
Le respect du repos dominical
Rappelons que le principe selon lequel le repos hebdomadaire est le dimanche est posé par l’article L. 3132-3 du Code du travail. Mais le législateur a posé plusieurs dérogations dont celle édictée par l’article L. 3132-13, selon lequel, dans les établissements de vente au détail de denrées alimentaires, le repos peut être donné ce jour-là à compter de 13 heures. Les salariés bénéficient alors d’un repos compensateur, par roulement et par quinzaine, d’une journée entière. Parallèlement, d’autres dispositions prévoient que le préfet peut ordonner la fermeture au public d’établissements pendant toute la durée du repos lorsqu’un accord est intervenu entre les organisations syndicales de salariés et les organisations syndicales d’employeurs d’une profession et d’une zone géographique déterminées sur les conditions dans lesquelles le repos hebdomadaire est donné aux salariés (C. trav., art. L. 3132-29).
Là encore, une instance internationale (commission d’experts de l’OIT) est venue constater que le droit français n’était pas conforme au droit international. La commission OIT invite donc le Gouvernement français à reprendre l’examen, en concertation avec les partenaires sociaux, de la législation applicable au repos dominical. Elle considère, en effet, que le législateur français a essentiellement tenu compte de considérations économiques liées à la concurrence et aux souhaits de certains consommateurs et pas suffisamment des considérations sociales, à savoir l’impact des dérogations sur les travailleurs concernés et leurs familles. Dans l’attente de nouvelles discussions sur ce sujet, il a été rappelé par la Cour de cassation que l’inspecteur du travail peut saisir le juges des référés, conformément à l’article L. 3132-31 du Code du travail, pour faire cesser le travail illicite (Cass. soc., 10 mars 2010, no 08-17.044, JSL no 277-8). Dans ce même arrêt, la Chambre sociale a eu l’occasion de rappeler que la dérogation n’est ouverte qu’aux seuls établissements relevant de la liste autorisant le travail le dimanche (C. trav., art. L. 3132-12).
La jurisprudence a déjà eu l’occasion de souligner l’atteinte à la vie personnelle du salarié en cas de travail non autorisé le dimanche (Cass. soc., 19 déc. 2007, no 06-41.770).
Dans cette construction d’un droit à la vie privée et d’un droit au repos, la Haute Juridiction a également rappelé que les congés devaient être pris effectivement.
Les congés doivent être pris effectivement
L’Assemblée plénière juge à cet égard que « les jours de récupération qui sont acquis au titre d’un accord d’aménagement et de réduction du temps de travail et représentent la contrepartie des heures de travail qu’il a exécutées en sus de l’horaire légal ou de l’horaire convenu n’ont ni la même cause ni le même objet que les congés payés d’ancienneté auquel il a droit, en sus de ses congés légaux annuels » (Cass. Ass. plén., 24 oct. 2008, no 07-42.799, JSL no 244-31).
Ce cadre strict rappelé par la jurisprudence, délaissé par le législateur au profit de la négociation collective, n’est pas sans poser la question de la place de la négociation collective dans le droit de la durée du travail. À cet égard, il est à souligner que la Haute Juridiction pour rendre sa décision du 29 juin 2011, avait consulté les partenaires sociaux, comme elle avait été amenée à le faire pour les avantages catégoriels.
TEMPS DE TRAVAIL ET SANTÉ AU TRAVAIL : LE DOMAINE DES PARTENAIRES SOCIAUX ?
Les partenaires sociaux doivent donc se saisir des questions de la durée du travail, les accords dérogatoires étant négociables en garantissant l’effectivité d’un droit au repos et ne s’imposant pas au contrat de travail.
→ Limites aux dérogations négociées
La notion d’accord dérogatoire ou de spécificité propre à une entreprise semble poser problème aux instances internationales, en termes de garanties des droits. Ainsi, sur le cadre prévoyant des garanties suffisantes, Michel Mine, dans son commentaire de l’avis du Comité européen des droits sociaux (CEDS) rendu à propos du forfait-jours (avis du 23 juin 2010, rendu publique le 14 janvier 2011), retient que le renvoi de la question du suivi de la charge de travail de la négociation collective à un entretien annuel entre le salarié et sa hiérarchie et à une consultation du comité d’entreprise en est une illustration emblématique.
Le fait que la loi n’impose pas que les conventions collectives prévoient une durée maximale, journalière et hebdomadaire, ne garantit pas l’effectivité du droit. Le CEDS note, dans sa décision du 23 juin 2010 que, même si les partenaires sociaux ont en pratique la possibilité de le faire, il n’est plus prévu que lesdites conventions fixent des modalités de suivi concernant, notamment, la durée quotidienne et la charge de travail. La question de la charge de travail est désormais essentiellement traitée à l’occasion d’un entretien annuel d’un salarié avec son employeur (C. trav., art. L. 3121-46) et d’une consultation annuelle du comité d’entreprise (C. trav., art. L. 2323-29).
Le comité critique également la réduction « drastique » des éléments protecteurs pour les salariés devant figurer dans les accords collectifs dérogatoires opérée par la loi no 2008-789 du 20 août 2008 et de poursuivre : « les conventions collectives peuvent être conclues au sein de l’entreprise. Or, il [le comité] estime qu’une telle possibilité, en ce qui concerne la durée du travail, n’est conforme à l’article 2 § 1 que si des garanties spécifiques sont prévues. Il relève à cet égard que la procédure d’opposition prévue aux articles L. 2232-12, L. 2232-13 et L. 2232-27 du Code du travail ne constitue pas une telle garantie, car sa mise en œuvre continue à présenter un caractère trop aléatoire. »
Ainsi la jurisprudence, en cas de lacune et de carence de la législation, voire des accords collectifs, pourrait être amenée à statuer sur le fondement du droit international. Concernant une problématique encore une fois considérée comme non conforme au droit communautaire par la Commission européenne, la Chambre sociale a eu l’occasion de rappeler qu’il est interdit à un accord collectif ou à une décision unilatérale de l’employeur de retenir un décompte forfaitaire pour les absences dues à la maladie en périodes de haute activité, ce qui diminuait les droits à congés sociale (Cass. soc., 9 janv. 2007, no 05-43.962, JSL no 205-2).
Soucieuse de vérifier le respect effectif des droits, la Chambre sociale fait primer le contrat sur le statut collectif, qui plus est lorsque celui-ci est dérogatoire.
→ Accords collectifs et modification du contrat de travail en matière de temps de travail
Ouvert par le droit communautaire, fruit des négociations sur le temps de travail, ce sujet a été renvoyé par le législateur aux partenaires sociaux. L’accord d’entreprise prime.
Alors que la loi fixait un cadre de contrôle strict, que l’accord collectif avait suivi et intégrait dans ses dispositions, il a été constaté que cela n’a pas été suivi d’effet. À la lecture de la jurisprudence récente sur la notion de travail effectif et de contrôle imposé aux juges du fond, il ressort qu’avec le droit au repos, la conciliation vie privée et vie professionnelle sera une grille de lecture et de proportionnalité au regard du pouvoir de direction de l’employeur et de l’organisation du temps de travail mis en place, même si cette organisation résulte d’un accord collectif de branche ou d’entreprise (Cass. soc., 12 mars 2008, no 06-45.274).
Si l’article L. 2254-1 du Code du travail prévoit que « lorsqu’un employeur est lié par les clauses d’une convention ou d’un accord, ces clauses s’appliquent aux contrats de travail conclus avec lui, sauf stipulations plus favorables », la jurisprudence considère que le contrat prime sur le statut collectif et protège donc le salarié. L’accord du salarié est donc nécessaire. Ainsi, la Chambre sociale a-t-elle rappelé que le passage d’un horaire de travail de jour à un horaire de nuit constitue une modification du contrat de travail qui requiert à chaque fois l’accord du salarié, peu important qu’un accord collectif, voire que le contrat de travail, le prévoit de façon générale (Cass. soc., 24 mars 2010, no 08-43.324, JSL no 278-30).
Malgré le renvoi à la négociation collective, la Chambre sociale de la Cour de cassation continue de faire primer le contrat de travail sur l’accord collectif en matière de modulation du temps de travail. Ainsi, pour la Haute Juridiction, la mise en place d’une modulation constitue une modification du contrat de travail nécessitant l’accord exprès du salarié (Cass. soc., 23 sept. 2009, no 07-44.712 ; Cass. soc., 28 sept. 2010, no 08-43.161). Dans l’arrêt du 29 juin 2011, la Cour de cassation rappelle d’ailleurs que l’accord collectif qui ne respecte pas les dispositions légales n’est pas opposable au salarié et que le fait de ne pas respecter l’accord retenant les prescriptions légales ouvre droit à dommages et intérêts. Ces arrêts ont une portée pratique considérable. Mais, outre le fait qu’ils risquent de voir se multiplier les demandes d’indemnisation d’heures supplémentaires, ils posent la question fondamentale de l’autorité des conventions et des accords collectifs de travail.
Pour conclure, les juridictions, tant civiles qu’administratives, constitutionnelles, pénales ou européennes, ont eu l’occasion d’être saisies de nombreux litiges et de contestation en matière de durée du travail. L’aménagement du temps de travail a été renvoyé depuis août 2008 aux partenaires sociaux. Le défi de la négociation va donc être de déterminer des normes pragmatiques, claires et précises prévoyant des modalités de contrôle et permettant de rendre effectives ces normes protectrices. Le rôle des instances du personnel devrait être accru sur ce contrôle de la durée du travail, responsabilité aux instances de systématiquement demander des précisions et de le rendre effectif. Ces questions sont loin d’avoir quitté les prétoires... Affaire à suivre donc...
Auteur : Olivier de Cassagnac Avocat au Barreau de Lille