Consultation des fichiers personnels du salarié par l’employeur : ce dernier peut-il s’en servir pour licencier le salarié ?
Par Céline QUOIREZ - Avocat | 11-03-2013 |
Au commencement étaient les sources du droit rappelant la nécessaire protection de la vie privée, y compris au travail :
- l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
- l’article 9 du Code civil aux termes duquel chacun a droit au respect de sa vie privée ;
- l’article L1121-1 du Code du travail qui proscrit toute restriction aux libertés individuelles "non justifiée par la nature de la tâche à accomplir et non proportionnée au but recherché".
Ces textes limitent le pouvoir disciplinaire de l’employeur en lui interdisant de se prévaloir automatiquement de faits de la vie privée du salarié comme motif de licenciement, ni même de simple sanction, quand bien même ils constitueraient un trouble objectif dans le fonctionnement de l’entreprise.
Illustration :
En 2007, la chambre mixte de la Cour de cassation a clairement énoncé le même principe dans une espèce où un salarié avait été rétrogradé pour s’être fait adresser, dans l’entreprise, une revue destinée à des couples échangistes.
Le contenu du pli, ouvert par erreur, avait provoqué une certaine émotion chez les salariés et égratigné la confiance du directeur dont il était le chauffeur.
La Cour d’appel de Nancy avait rejeté sa contestation de la sanction au motif que ce document avait provoqué un trouble dans l’entreprise, porté atteinte à son image et avait eu un retentissement sur la personne du directeur dont il était un proche collaborateur.
Cette décision a été censurée par la Cour de cassation qui avait considéré notamment qu’"un trouble objectif dans le fonctionnement de l’entreprise ne permet pas en lui-même de prononcer une sanction disciplinaire à l’encontre de celui par lequel il est survenu" et que "la réception par le salarié d’une revue qu’il s’est fait adresser sur son lieu de travail ne constitue pas un manquement aux obligations résultant du contrat" ( Cass. ch. mixte, 18 mai 2007, no05-40803).
PRECISIONS :
Il en va différemment d’un steward qui avait consommé des stupéfiants pendant une escale entre deux vols.
Ce salarié appartenait au "personnel critique pour la sécurité". Lui reprochant sa consommation de stupéfiants, la compagnie l’a licencié pour faute grave.
Pour contester cette mesure, le salarié faisait valoir que les faits reprochés relevaient de sa vie personnelle et, entre autres arguments, que personne n’avait considéré qu’il était dans un état anormal. Peine perdue : le licenciement pour faute grave a été jugé justifié, car, selon la Cour, il se trouvait sous l’influence de produits stupéfiants pendant l’exercice de ses fonctions, n’avait pas respecté les obligations prévues par son contrat, faisant ainsi courir un risque aux passagers (Cass. Soc. 27 mars 2012, no10-19915)
Dans une autre affaire, un salarié chargé de la coordination des animateurs d’un centre de jeunesse avait été licencié pour faute grave au motif qu’il détenait, dans son logement de fonction, des photos de mineurs à caractère pornographique. Cela avait même entraîné sa garde à vue.
La Cour de cassation a approuvé les juges du fond d’avoir considéré que ce fait de la vie personnelle caractérisait une faute professionnelle, dès lors que ses fonctions le mettaient en contact permanent avec des mineurs, qu’il avait imprimé, avec le matériel mis à sa disposition par l’employeur, des photographies à caractère pornographique qui avaient été découvertes dans le logement de fonction qu’il occupait dans l’enceinte du centre (Cass. Soc. 8 nov. 2011, no10-23593).
Immixtion de la vie personnelle dans l’entreprise
Une jurisprudence constante de la Cour garantit au salarié le droit au respect de l’intimité de sa vie privée « même au temps et au lieu du travail »(Cass. Soc. 5 juill. 2011, no10-17284).
Mais elle rappelle également que "les fichiers créés par le salarié à l’aide de l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur sont présumés avoir un caractère professionnel".
À cet égard, la seule dénomination "Mes documents" ne suffit pas pour conférer un caractère personnel à un fichier. L’employeur peut donc y avoir accès hors la présence du salarié (Cass. Soc. 10 mai 2012, no11-13884).
La distinction fichiers personnels / fichiers non identifiés comme personnels est d’importance : dans la première hypothèse : "l'employeur ne peut sauf risque ou événement particulier ouvrir les fichiers identifiés par le salarié comme personnelles contenues sur le disque dur de l'ordinateur mis à sa disposition en présence de ce dernier où celui-ci dûment appelé" (Cass. Soc, 17 mai 2005, n° 40.017 FS-P + B + R + I : par cet arrêt, la Cour de Cassation revenait sur la jurisprudence extrêmement libérale de l'arrêt « NIKKON » interdisant à l'employeur de consulter les courriers personnels du salariés sur l'ordinateur qu'il avait mis à sa disposition, la notion de courrier personnel demeurant alors d'acception très large)
L’on ne saurait trop conseiller aux salariés désireux d’éviter une consultation de leurs fichiers hors leur présence de les intituler "personnel" voire "fichier strictement personnel de Mr ou Mme".
Cette présomption de professionnalité s’applique également aux courriels émis ou reçus à l’aide de l’outil informatique mis à disposition par l’entreprise (Cass. Soc. 18 oct. 2011, no10-26782).
Pour autant : l’employeur qui, dans ces conditions, prend légalement connaissance de faits de la vie privée, peut-il les utiliser pour licencier le salarié ?
Réponse de la Cour :
« Si l’employeur peut toujours consulter les fichiers qui n’ont pas été identifiés comme personnels par le salarié, il ne peut les utiliser pour le sanctionner s’ils s’avèrent relever de sa vie privée. »
Dans cette affaire, la boîte de messagerie d’un responsable d’une société d’assurances contenait des messages à caractère érotique et une correspondance intime avec une salariée de l’entreprise (Cass. Soc. 5 juill. 2011).
Par ailleurs l’employeur ne peut pas, sans l’accord du salarié, produire dans une procédure judiciaire des courriels non identifiés comme personnels, mais dont le contenu relève de la vie privée de l’intéressé (Cass. Soc. 10 mai 2012, no11-11252).