► PARIS, 26 février 2013 - La résiliation judiciaire du contrat de travail prononcée aux torts de l’employeur, en raison du harcèlement moral dont le salarié a été victime sur son lieu de travail, produit les effets d’un licenciement nul et non pas seulement sans cause réelle et sérieuse, selon un arrêt (1) de la Cour de cassation du 20 février 2013.
L’arrêt peut être perçu comme une nouvelle manière d’inciter les employeurs à tout mettre en œuvre pour empêcher que de tels agissements surviennent dans l’entreprise.
Résiliation aux torts de l’employeur
En cas de manquement grave de l’employeur à ses obligations contractuelles, le salarié peut prendre acte de la rupture (ce qui met fin immédiatement au contrat de travail) ou, ce qui est beaucoup moins risqué, demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail (ce qui ne mettra fin aux relations contractuelles que si le juge accueille une telle demande).
En l’espèce, une salariée avait ainsi demandé la résiliation judiciaire de son contrat en raison de divers manquements de l’employeur, dont celui de s’être rendu coupable d’agissements de harcèlement moral. Le harcèlement ayant été reconnu, les juges du fond ont fait droit à la demande de la salariée et ont donc prononcé la résiliation du contrat aux torts de l’employeur. Restait à savoir quels effets cette rupture devait produire.
Classiquement, la résiliation judiciaire produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse permettant au salarié d’obtenir les indemnités de licenciement, de préavis et de congés payés ainsi qu’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, dont le montant varie selon l’ancienneté du salarié et l’effectif de l’entreprise (le plancher de six mois de salaires ne concernant que les salariés ayant au moins deux ans d’ancienneté et travaillant dans une entreprise d’au moins 11 salariés : C. trav., art. L. 1235-5). En revanche, le salarié n’a pas droit à des indemnités pour irrégularité de la procédure de licenciement (2). Dans la présente affaire, les juges du fond, suivis par la Cour de cassation, ont néanmoins opté pour les effets d’un licenciement nul.
Effet d’un licenciement nul en cas de harcèlement moral ou sexuel
Selon l’arrêt du 20 février, la salariée était effectivement fondée à solliciter la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur, en raison notamment du harcèlement moral dont elle avait été victime sur son lieu de travail. Dès lors, « cette rupture produisait les effets d’un licenciement nul conformément aux dispositions de l’article L. 1152-3 du Code du travail ». C’est donc un argument de texte qui l’a emporté dans ce cas particulier. L’article L. 1152-3 est, en effet, des plus clairs puisqu’il sanctionne expressément par la nullité toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions sur le harcèlement moral. Il existe d’ailleurs une disposition identique prévoyant la nullité en cas de harcèlement sexuel (C. trav., art. L. 1153-4), de sorte que la solution issue du présent arrêt est également valable dans ce cas.
Sur le plan indemnitaire, l’employeur ayant à assumer les effets d’un licenciement nul devra verser les indemnités de rupture classiques, mais aussi une indemnité réparant l’illicéité du licenciement. Or, celle-ci se voit appliquer le montant plancher de six mois de salaires, en toute hypothèse, quels que soient l’ancienneté du salarié et l’effectif de l’entreprise (Cass. soc., 2 juin 2004, n° 02-41.045 ; Cass. soc., 6 octobre 2010, n° 09-42.2836). Habituellement, le licenciement nul, ouvre également un droit à réintégration, mais dans l’hypothèse de la résiliation judiciaire, celui-ci présente peu d’intérêt puisqu’à la base, le salarié demande précisément à ce que son contrat soit rompu.
Solution transposable à la prise d’acte de la rupture
Faut-il s’étonner de la solution ? Non, car ces dernières années, la position de la Cour de cassation est extrêmement sévère à l’égard des entreprises dont les salariés sont victimes de harcèlement. Ainsi, dès lors qu’un harcèlement est constaté, l’employeur est automatiquement considéré comme ayant manqué à son obligation de sécurité de résultat (Cass. soc., 3 février 2010, n° 08-44.019). Face à un tel manquement, la prise d’acte est automatiquement jugée justifiée, et une action en résiliation judiciaire a de très fortes chances de prospérer s’il n’est pas mis fin aux agissements. Il n’y avait donc aucune raison pour que la Haute juridiction, soucieuse au plus haut point de la santé des salariés et de leur protection contre le harcèlement, ne franchisse pas une étape supplémentaire en faisant produire à la résiliation judiciaire les effets d’un licenciement nul. Ce d’autant qu’une disposition du Code du travail le lui permettait, voire l’y obligeait.
Ce même argument de texte permet raisonnablement de penser que la même solution prévaudra en cas de prise d’acte fondée sur un harcèlement : celle-ci produira les effets d’un licenciement nul si le harcèlement est caractérisé. Rappelons d’ailleurs que la Cour de cassation a récemment étendu la liste des cas dans lesquels la prise d’acte produit les effets d’un licenciement nul en y inscrivant celle de la prise d’acte durant une période de suspension du contrat de travail pour accident du travail (Cass. soc., 12 décembre 2012, n° 10-26.324).
(1) Cour de cassation, 20 février 2013, n°11-26560