Les salariés victimes de harcèlement moral peuvent prétendre à une double indemnisation, selon la Cour de cassation.
Les salariés victimes de harcèlement moral peuvent être doublement indemnisés, selon un arrêt (1) rendu le 6 juin par la Cour de cassation: ils ont la possibilité de se voir allouer des dommages-intérêts ainsi qu’une indemnisation spécifique réparant le manquement de l’employeur à son obligation légale de prévenir les actes de harcèlement dans son entreprise.
Mais ces réparations distinctes sont expressément subordonnées à la démonstration par la victime de l’existence de deux préjudices différents. En 2006, la Cour de cassation a franchi un cap en inscrivant la protection contre le harcèlement moral dans le champ de la sacro-sainte obligation de sécurité de résultat de l’employeur (Cass. soc., 21 juin 2006, n° 05-43.914). Ainsi, ce dernier est fautif dès lors que surviennent de tels agissements dans son entreprise, peu important qu’il ait pris des mesures pour les faire cesser ou tenter de les éviter.
Double obligation
L’obligation de protéger les salariés contre le harcèlement moral est une obligation à double détente, puisque l’employeur est tenu tout à la fois :
– de prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement, et ce au titre de l’article L. 1152-4 du Code du travail. L’employeur manque par exemple à cette obligation lorsqu’il laisse sans suite un rapport d’audit lui signalant des pratiques managériales brutales au sein de son entreprise ;
– de faire en sorte qu’aucun de ses salariés ne subisse des agissements répétés de harcèlement moral, et ce au titre de l’article L. 1152-1 du Code du travail. Le manquement à cette obligation est alors caractérisé dès l’instant que le harcèlement est reconnu.
Les obligations étant distinctes, on pouvait dès lors s’interroger sur la possibilité pour la victime d’obtenir des réparations spécifiques.
La Cour de cassation n’avait encore jamais eu l’occasion de trancher cette question. Dans la présente affaire, la cour d’appel de Paris avait accordé au salarié, en plus des 25 000 € réparant le harcèlement moral subi, une somme de 5 000 € en réparation du préjudice résultant de la violation par l’employeur de l’obligation de prévention portée par l’article L. 1152-4 précité.
Pour les juges du second degré, la violation de cette obligation de prévention était flagrante, puisqu’à plusieurs reprises l’employeur avait été alerté de cas de souffrances au travail, notamment par le médecin du travail et par un rapport d’audit interne, sans jamais leur donner suite. Au contraire, pour l’employeur, les deux indemnisations n’étaient pas cumulables : les deux obligations doivent se confondre et se solder par une seule et même indemnisation. La Cour de cassation a, pour sa part, retenu une solution à l’exact opposé, validant ainsi sur ce point l’arrêt de la cour d’appel de Paris.
Exigence de préjudices spécifiques
Dans son arrêt du 6 juin, la Haute juridiction affirme ainsi que « les obligations résultant des articles L. 1152-4 et L. 1152-1 du Code du travail sont distinctes en sorte que la méconnaissance de chacune d’elles, lorsqu’elle entraîne des préjudices différents, peut ouvrir droit à des réparations spécifiques ». La bonne exécution par l’employeur de ces obligations s’apprécie donc isolément et peut donner lieu à double indemnisation. Ce principe posé, reste néanmoins à faire la preuve de préjudices distincts pour chacun des manquements.
Les plaideurs devront alors rivaliser d’imagination devant les juges du fond. Mais il n’y a là rien d’impossible, puisque le salarié y était parvenu dans la présente affaire.
On peut néanmoins regretter que l’arrêt ne fournisse pas d’élément sur le contenu des préjudices indemnisés. En tout état de cause, on ne peut que trop conseiller aux employeurs de ne pas recevoir avec légèreté les signalements qui leur seraient transmis par le CHSCT, le service de santé au travail ou les salariés eux-mêmes. En cas de harcèlement avéré, il s’agit en effet désormais d’une source supplémentaire, certes potentielle, d’indemnisation.
Harcèlement sexuel : mêmes obligations, mêmes sanctions
La législation sur le harcèlement sexuel met également une double obligation à la charge de l’employeur : celle de prévenir le harcèlement en général (C. trav., art. L. 1153-5) et celle de ne pas faire subir ou laisser subir un harcèlement (C. trav., art. L. 1153-1). Le principe de la double indemnisation posé par le présent arrêt en matière de harcèlement moral lui est donc en toute logiquement transposable.