Soc. 17 févr. 2010, n° 08-44.298
Mauvaises conditions de travail, mais aussi souffrance au travail, stress, pressions « managériales »... les effets sur la santé du salarié peuvent donner lieu à une indemnisation de la part de l'employeur, sur le fondement de son obligation de sécurité.
À l'heure où le stress dans les entreprises fait l'objet d'une grande campagne de prévention de la part des pouvoirs publics, c'est une décision très intéressante que vient de rendre la Cour de cassation. Puisqu'elle accorde, en dehors de tout harcèlement moral, une indemnisation au salarié dont la santé mentale est affectée par les mauvaises conditions de travail.
I. - Les faits : une dépression liée à une dégradation des conditions de travail
En l'espèce, une secrétaire employée dans l'entreprise depuis 1982 avait commencé à se plaindre de ses conditions de travail aux environs de l'année 2002. Cette année-là, lors de son entretien individuel, l'intéressée avait fait part « d'une réduction plus que substantielle » de ses responsabilités, et « d'une mise à l'écart de certaines réunions et activités ». De surcroît, elle avait fait un sérieux malaise à l'issue de cet entretien.
La salariée avait alors demandé une formation pour apprendre le chinois, que l'employeur avait vite suspendue, eu égard « au peu d'utilité de cette langue par rapport au poste occupé ». Sa mise à la retraite avait un temps été envisagée, puis l'employeur avait changé d'avis. La salariée, déjà fragilisée, avait alors sollicité un autre poste au sein du groupe, ce qui lui avait été refusé au motif « qu'il n'existait à ce jour aucune raison de lui proposer un autre poste », compte tenu de ses parfaites connaissances techniques dans l'emploi qu'elle occupait.
Fin 2003, la secrétaire s'était trouvée en arrêt de travail. On diagnostiquait chez elle une « névrose traumatique avec retour en boucles, angoisse, insomnies réactionnelles » nécessitant sa prise en charge en psychothérapie et un traitement antidépressif.
Pour les médecins, pas de doute : l'altération de sa santé résultait de la dégradation de ses conditions de travail et des pressions imposées par la restructuration de son entreprise.
S'en était suivie la constatation médicale de son inaptitude, puis à terme un licenciement pour impossibilité de reclassement.
II. - Pour l'employeur, l'affirmation, toujours plus forte, d'une obligation de sécurité de résultat
Devant les tribunaux, la salariée avait invoqué le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité sur le fondement de l'article L. 4121-1 du code du travail. Selon elle, il était médicalement établi que sa maladie était liée à ses conditions de travail. Or, la direction de l'entreprise, pourtant alertée par plusieurs courriers de l'intéressée, n'avait pris aucune mesure pour résoudre les difficultés qu'elle lui avait exposées à plusieurs reprises.
Cette analyse a été validée, par les juges du fond, puis par la Cour de cassation. Selon les juges, l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise, doit en assurer l'effectivité. Dès lors que « l'altération de la santé de la salariée résultait de la dégradation de ses conditions de travail et des pressions imposées par la restructuration de son entreprise », l'employeur « qui avait pourtant été alerté par plusieurs courriers de celle-ci » mais qui « n'avait pris aucune mesure pour résoudre les difficultés qu'elle avait exposées » avait manqué à l'obligation de sécurité de résultat qui lui incombe. Un manquement, dont la réparation a été évaluée à 30 000 euros (c'est le montant de l'indemnité qui a été accordée à la salariée).
Cette décision s'inscrit dans un mouvement jurisprudentiel, plus général, qui donne une place centrale à l'obligation générale de sécurité qui pèse sur l'employeur. Cette obligation, qui doit l'amener à prendre les mesures nécessaires pour assurer la santé physique des travailleurs… mais aussi, de plus en plus, leur santé mentale. Dès lors qu'il est alerté par un salarié sur les problèmes de santé que celui-ci rencontre (c'était le cas en l'espèce), l'employeur est tenu de réagir. Et quand bien même il n'est pas alerté par le salarié lui-même, des signes clairs (par exemple des manifestations psychosomatiques visibles, comme dans cette affaire, le « sérieux malaise » qu'avait connu la salariée après son entretien individuel) ne doivent pas rester ignorés.
Certes, s'agissant du stress de ses salariés, l'employeur n'est pas tenu à une obligation de prévention absolue, comme ce peut être le cas lorsqu'il y a un harcèlement moral avéré (v. récemment Cass.soc., 3 févr. 2010, n° 08-44.019, Margotin c/ société Stratorg et ; Cass.soc., 3 févr. 2010, n° 08-40.144, Vigoureux c/ société Les Hôtels de Paris). Mais, aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur doit « prendre les mesures nécessaires » et « veiller à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes ». En clair : devant certains événements, il doit absolument réagir. Sinon cela peut lui être reproché. En l'espèce, l'employeur aurait pu par exemple accéder à la demande de mutation faite par la salariée. Mais aussi se mettre en contact, bien avant la déclaration d'inaptitude, avec le médecin du travail afin d'envisager des solutions.
III. - Pour les salariés en situation de souffrance au travail, une nouvelle voie d'indemnisation
Pour les salariés souffrant de stress au travail (et en particulier ceux qui souffrent de ce qu'on pourrait appeler la « dépression professionnelle »), cette décision ouvre de nouvelles perspectives. Lorsqu'il paraît difficile de faire qualifier les maux dont on souffre d'accident du travail ou de maladie professionnelle, lorsque la preuve d'un harcèlement moral ne peut pas non plus être rapportée, il y a donc cette « troisième voie » de la réparation au titre du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.
Elle peut le cas échéant permettre d'obtenir une indemnisation lorsque la mauvaise organisation de l'entreprise ou des pratiques « managériales musclées » finissent par avoir des incidences sur l'état nerveux des salariés. En l'espèce, la salariée aurait effectivement eu du mal à attaquer son employeur pour harcèlement moral. Car aucune décision patronale n'était à proprement parler dirigée contre elle. Les médecins mettaient sa dépression en lien avec « une dégradation de ses conditions de travail et des pressions imposées par la restructuration de son entreprise ». Ce qui, de jurisprudence constante, ne peut suffire à caractériser un harcèlement (v. notamment Cass.soc., 10 nov. 2009, n° 07-45.321, Salon Vacances Loisirs c/ Marquis). Mais ce qui pourra suffire désormais à obtenir une indemnisation, dès lors que les répercussions sur la santé sont conséquentes, et que l'employeur n'aura rien fait pour remédier à la situation.