►Nouvelle affectation : modification du contrat de travail ou simple changement des conditions de travail qui peut être imposé au salarié ?
La Cour de cassation juge régulièrement que « la mention du lieu de travail dans le contrat de travail a valeur d'information à moins qu'il ne soit stipulé par une clause claire et précise que le salarié exécutera son travail exclusivement dans ce lieu (Soc., 3 juin 2003, n° 01-40.376 & Soc., 15 mars 2006, n° 02-46.496).
Si le contrat de travail du salarié ne comporte ni clause de mobilité, ni clause d’affectation exclusive à un site précisément identifié, alors la Cour de cassation renvoie à la notion de secteur géographique (Soc., 16 décembre 1988, n° 96-40.227) :
- Si le changement d’affectation se situe au sein d’un même secteur géographique, alors il s’agit d’un simple changement des conditions de travail, que l’employeur peut imposer au salarié (tout refus de sa part pouvant justifier un licenciement) ;
- Si la mutation se fait hors du secteur géographique dans lequel le salarié travaillait, alors il s’agit d’une modification du contrat de travail que l’employeur ne peut opérer qu’avec l’accord du salarié.
Toute la difficulté consiste à évaluer la notion de « secteur géographique », puisque les magistrats en font une appréciation au cas par cas.
Il est donc très difficile de vous fixer de façon précise, mais nous pouvons néanmoins vous donner des grilles de lecture :
1. Sur les principaux critères d’appréciation retenus par les magistrats
Pour résumer : les magistrats doivent apprécier le secteur géographique en se fondant sur des critères objectifs, applicables à l’ensemble des salariés. De ce fait, ils doivent prendre en compte la distance entre les deux lieux de travail, principalement en transports en commun.
La Cour de cassation juge que a jugé que « le changement d’affectation doit être apprécié objectivement au regard de la situation respective des deux lieux de travail et non au regard des conditions de transport du salarié depuis son domicile » (Soc., 15 juillet 2004, n°01-44.707).
Dans cette espèce, pour décider que la mutation du salarié de « Paris à Roissy » ne se situait pas dans le même secteur géographique, la Cour d’appel avait retenu – à bon droit selon la Haute Juridiction - que l’ensemble des voies de communication reliant les deux sites ne permettait ni échange direct, ni déplacement aisé compte tenu de la nécessité d’emprunter le métro ou le RER A, puis le RER B, puis enfin une navette d’autobus.
Cette jurisprudence a été confirmée depuis, la Cour de cassation sanctionnant les décisions ne détaillant pas les éléments objectifs d’appréciation retenus par le juge (Soc., 15 décembre 2010, n° 09-42.221 & Soc., 26 octobre 2011, n° 09-71.322).
La Cour d’appel de Versailles est venue préciser que « le changement du lieu de travail doit être apprécié de manière objective, c'est-à-dire de façon identique pour tous les salariés de l'entreprise concernés par le transfert des locaux de travail et non par rapport à la situation de chaque salarié considéré individuellement. Pour définir le secteur géographique, il convient de se fonder sur la desserte en moyens de transport de chacun des lieux de travail concernés » (CA Versailles 3 février 2010 n° 08-3460, 17e ch., SAS Rellumix c/ Lamy)
Cet arrêt s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence de la jurisprudence de la Cour de cassation, qui refuse que l’employeur puisse se retrancher derrière la possibilité qu’aurait le salarié d’utiliser son véhicule personnel :
« Le changement du lieu de travail doit être apprécié de manière objective.
Une cour d'appel ne peut décider que constitue une faute grave le refus par un salarié d'une nouvelle affectation de Versailles à Chartres, en prenant notamment en compte son statut de cadre dans l'entreprise et le fait que l'utilisation de son véhicule personnel n'aurait augmenté la durée du trajet quotidien que d'environ une demi-heure, sans rechercher si le lieu de travail auquel il avait été affecté était situé dans un secteur géographique différent de celui où il travaillait précédemment et si, dès lors, le déménagement constituait une modification du contrat de travail » (Soc., 4 mai 1999 n° 97-40.576)
2. Sur des exemples jurisprudentiels
2.1. Sur la modification du secteur géographique
Il a été jugé que caractérise une modification du secteur géographique :
- La mutation de Marseille à Roquefort-la-Bédoule, villes situées dans deux bassins d'emploi différents. Le temps de trajet du salarié, au moyen de transports en commun, est allongé de près de 5 heures par jour en raison de l'absence d'une desserte suffisante (Cass. soc. 26 janvier 2011 n° 09-40.286) ;
- La mutation entre Châtillon (92) et Mitry Mory (94), « entre lesquelles on communique moyennant 1 heure 20 de transport en commun, supposant trois changements de lignes » (Cour d’appel de Versailles, 10 mai 2007, RJS 11/07 n°1163) ;
- La mutation d'Hénin-Beaumont à Lambersat, deux villes situées à environ 40 km l'une de l'autre, distance qui n'est pas considérable dans l'absolu, mais s'inscrit dans une zone très densément peuplée, avec des conditions de circulation très difficiles aux heures de pointe, et relevant de deux départements différents et de deux bassins d'emplois (le bassin minier et l'agglomération lilloise), ce qui a pour effet que ces deux villes ne se trouvent pas dans le même secteur géographique (CA Douai 30 juin 2009 n° 08-3201, ch. soc., SA Proxiserve c/ Delbart
2.2. Sur l’absence de modification du secteur géographique
Caractérisent un simple changement des conditions de travail, qui peut être imposé au salarié :
- La mutation au nouveau siège de l'association situé, dans le même département, à environ 30 km du précédent, avec proposition à l'intéressé d'un aménagement de son temps de travail et d'une indemnité de transport visant à compenser le surcoût du nouveau trajet (CA Dijon 31 janvier 2002 n° 01-112, ch. soc., Association Ligue de Bourgogne de Football c/ Barre) ;
- La mutation entre deux sites, situés dans deux départements différents, mais distants seulement de 36 kilomètres, dont 33 de voies express, la durée du trajet étant évaluée à 23 minutes, et que l'accessibilité de ces deux villes, situées dans le bassin parisien, en transports en commun étant équivalente dès lors qu'il n'existe aucun transport en commun entre elles sans passer par Paris (CA Paris 12 juin 2008 n° 07-7551, 21e ch. B, Mangler c/ SARL Hama).
- L’affectation à deux lieux de travail successifs, séparés par une faible distance (25 km) et reliés par une route expresse et donc situés dans le même secteur géographique
- L’affectation sur un nouveau lieu de travail à Mougins, distant de 19 kilomètres du Rouret, qui était dans le même secteur géographique, la Cour d’appel ayant pu en déduire que cette nouvelle affectation ne constituait qu'une modification des conditions de travail et qu'en conséquence le refus des salariées de rejoindre ce lieu de travail était fautif ;(Soc., 12 avril 2012, n° 11-15.971)
- « la cour d'appel, qui a relevé que le domicile de M. X..., situé à Marseille, lieu de sa nouvelle affectation, était distant de 14 kilomètres de son ancien lieu de travail, a fait ressortir que le magasin dans lequel le salarié avait été muté à Marseille était situé dans le même secteur géographique que son ancien lieu de travail à Aubagne ; qu'elle a pu en déduire que la mutation du salarié constituait un simple changement de ses conditions de travail relevant du pouvoir de direction de l'employeur » (Soc., 18 janvier 2012, n° 10-10.981)
3. En conclusion
Il ressort de ce qui précède que l’appréciation du secteur géographique devra se faire au cas pas cas, puisque si la Cour de cassation apprécie essentiellement la modification au regard des transports en commun, elle intègre parfois d’autres éléments comme les conditions de circulation, les risques d’intempéries…
Il faut donc faire preuve de la plus grande prudence ; vous pouvez nous consulter si vous le souhaitez pour avoir des précisions.